Les murs du Cadratin sont épais, épaissis
par le temps, la poussière et le bruit des
machines de l'ancienne ferblanterie. Patinés par les pas de l'artisan qui travaillait là, avant.
Avant que d'autres machines, sans doute un
peu plus silencieuses, redonnent vie aux murs qui, depuis quelques temps, se gardaient de vivre trop bruyamment.
Les murs du Cadratin sont tous différents.
Ils sont de sable, de vent. Ils sont de mots, de rêves, de colères et d'élan. Ils sont témoins des silences de l'homme qui travaille en leur sein.
Voilà un endroit qui est une maison. Voilà un lieu où l'on rêve de s'endormir parfois, auprès du feu, auprès des bas-de-casse. Voilà un lieu vivant. Et quelle gageure que de parvenir à dire pourquoi. Il y a cette patine, cette
odeur d'encre et de papier, ces branches d'olivier au jardin d'hiver, cette verrière où le ciel se colle, curieux, voisin, ce verre de Pastis sur le comptoir et puis le rouge, le cuivre, le noir, couleurs de l'endroit. Voilà un lieu épais,
entier.
Les fenêtres du Cadratin sont fragiles. Un rien peut les faire tomber. Elles ont l'âge des vieilles femmes, celui que l'on ne confie pas. Elles sont petites, serrées, et mettent du coeur à se laisser traverser par la lumière venue éclairer l'atelier.
La poubelle du Cadratin est pleine. Quelque soit le jour où vous entrez, elle déborde. Des pages, des papiers, des essais. La poubelle témoigne de l'énergie et de l'exigence de celui qui crée. Le Cadratin est un écrin. Une folie, une résistance.
Un espace. Un atelier de typographie où la typographie se fait appeler Madame et vous colle dans la figure sa belle main d'encre à qui on ne la fait pas. Le Cadratin ne négocie pas, ne tolère pas, ne concède rien. Alors, forcément, dans un endroit comme celui-là, les poètes font volontiers leur lit. Les poètes s'y donnent des papiers, des lettres de noblesse. Les poètes s'y sentent chez eux. Mais Le Cadratin ne leur appartient pas. C'est le domaine d'un magicien. Un de ceux qui passent leur vie à inventer la vie. Et à cet hommelà, Le Cadratin sait ce qu'il doit.
Il ne va pas aimer que l'on écrive sur lui. Il préférerait, bien sûr, qu'on lui tape sur l'épaule et lui offre un Pastis, dans un verre marseillais. Sur sa personne, Jean-Renaud Dagon apprécie le silence. Mais le XXIème siècle est ainsi fait. Pour le suivre, il faut parfois savoir sortir de sa tanière, tout ours helvétique que l'on puisse être. «Tu regardes un homme, tu vois l'enfant en lui ». Bien sûr, la phrase de Malraux convient à Jean-Renaud. Bien sûr. Parce qu'il invente. Parce qu'il imagine. Parce qu'il voit. Bien sûr Jean-Renaud, dans sa stature de biker américain égaré au pays de Heidi, est un enfant.
Il faut se glisser dans son atelier lorsque la lumière tombe et le voir, ivre d'envies, manipuler ses tiroirs, ses feuilles de papier, ses encres. Il faut l'apercevoir, courbé devant ses machines. Il faut lever le coude aussi, les samedis matins, pour trinquer à la vie, dans ce qu'elle donne de colères, dans ce qu'elle bouscule de rêves. Il faut deviner la présence d'une fleur compagne, derrière l'homme. Il faut comprendre son impatience, sa timidité, plus encore, son génie. Le mot, évidemment, ne va pas lui plaire. Mais Jean-Renaud a l'oeil génial. L'oeil créateur, l'oeil éloquent, l'oeil bavard et le souci de la perfection. Il dit, ne pas lire les mots, lui, le typographe. Il dit n'entrer dans un texte qu'en le manipulant, qu'en posant les unes après les autres, et avec tendresse, les lettres. Elles lui en sont, sans aucun doute, reconnaissantes. Pour qu'elles se laissent faire, les sauvages, les ancêtres, il faut que la confiance soit grande. Que les mains soient douées.
Et puis, si l'on prend le temps de les lui lire, il les écoute attentivement les histoires. Bien sûr. L'enfant, encore. Voilà. Je ne connais pas Jean-Renaud Dagon. J'apprends à le connaître. Il est de ces artistes dont la présence au monde rassure. Il est de ces artistes aux coups de gueule. Il prend des risques. Il offre tout. Il offre beaucoup. Une oeuvre d'homme debout n'est rien d'autre que ces deux ou trois images simples sur lesquelles l'art grandit. Cela aussi, il ne va pas aimer.
Tant pis. C'est dit.
Karelle Ménine
peu plus silencieuses, redonnent vie aux murs qui, depuis quelques temps, se gardaient de vivre trop bruyamment.
Les murs du Cadratin sont tous différents.
Ils sont de sable, de vent. Ils sont de mots, de rêves, de colères et d'élan. Ils sont témoins des silences de l'homme qui travaille en leur sein.
Voilà un endroit qui est une maison. Voilà un lieu où l'on rêve de s'endormir parfois, auprès du feu, auprès des bas-de-casse. Voilà un lieu vivant. Et quelle gageure que de parvenir à dire pourquoi. Il y a cette patine, cette
odeur d'encre et de papier, ces branches d'olivier au jardin d'hiver, cette verrière où le ciel se colle, curieux, voisin, ce verre de Pastis sur le comptoir et puis le rouge, le cuivre, le noir, couleurs de l'endroit. Voilà un lieu épais,
entier.
Les fenêtres du Cadratin sont fragiles. Un rien peut les faire tomber. Elles ont l'âge des vieilles femmes, celui que l'on ne confie pas. Elles sont petites, serrées, et mettent du coeur à se laisser traverser par la lumière venue éclairer l'atelier.
La poubelle du Cadratin est pleine. Quelque soit le jour où vous entrez, elle déborde. Des pages, des papiers, des essais. La poubelle témoigne de l'énergie et de l'exigence de celui qui crée. Le Cadratin est un écrin. Une folie, une résistance.
Un espace. Un atelier de typographie où la typographie se fait appeler Madame et vous colle dans la figure sa belle main d'encre à qui on ne la fait pas. Le Cadratin ne négocie pas, ne tolère pas, ne concède rien. Alors, forcément, dans un endroit comme celui-là, les poètes font volontiers leur lit. Les poètes s'y donnent des papiers, des lettres de noblesse. Les poètes s'y sentent chez eux. Mais Le Cadratin ne leur appartient pas. C'est le domaine d'un magicien. Un de ceux qui passent leur vie à inventer la vie. Et à cet hommelà, Le Cadratin sait ce qu'il doit.
Il ne va pas aimer que l'on écrive sur lui. Il préférerait, bien sûr, qu'on lui tape sur l'épaule et lui offre un Pastis, dans un verre marseillais. Sur sa personne, Jean-Renaud Dagon apprécie le silence. Mais le XXIème siècle est ainsi fait. Pour le suivre, il faut parfois savoir sortir de sa tanière, tout ours helvétique que l'on puisse être. «Tu regardes un homme, tu vois l'enfant en lui ». Bien sûr, la phrase de Malraux convient à Jean-Renaud. Bien sûr. Parce qu'il invente. Parce qu'il imagine. Parce qu'il voit. Bien sûr Jean-Renaud, dans sa stature de biker américain égaré au pays de Heidi, est un enfant.
Il faut se glisser dans son atelier lorsque la lumière tombe et le voir, ivre d'envies, manipuler ses tiroirs, ses feuilles de papier, ses encres. Il faut l'apercevoir, courbé devant ses machines. Il faut lever le coude aussi, les samedis matins, pour trinquer à la vie, dans ce qu'elle donne de colères, dans ce qu'elle bouscule de rêves. Il faut deviner la présence d'une fleur compagne, derrière l'homme. Il faut comprendre son impatience, sa timidité, plus encore, son génie. Le mot, évidemment, ne va pas lui plaire. Mais Jean-Renaud a l'oeil génial. L'oeil créateur, l'oeil éloquent, l'oeil bavard et le souci de la perfection. Il dit, ne pas lire les mots, lui, le typographe. Il dit n'entrer dans un texte qu'en le manipulant, qu'en posant les unes après les autres, et avec tendresse, les lettres. Elles lui en sont, sans aucun doute, reconnaissantes. Pour qu'elles se laissent faire, les sauvages, les ancêtres, il faut que la confiance soit grande. Que les mains soient douées.
Et puis, si l'on prend le temps de les lui lire, il les écoute attentivement les histoires. Bien sûr. L'enfant, encore. Voilà. Je ne connais pas Jean-Renaud Dagon. J'apprends à le connaître. Il est de ces artistes dont la présence au monde rassure. Il est de ces artistes aux coups de gueule. Il prend des risques. Il offre tout. Il offre beaucoup. Une oeuvre d'homme debout n'est rien d'autre que ces deux ou trois images simples sur lesquelles l'art grandit. Cela aussi, il ne va pas aimer.
Tant pis. C'est dit.
Karelle Ménine